Ça y est, le bébé est prêt, relu, corrigé. Bref, il est terminé ! C’est toujours un moment assez étrange : vous êtes évidemment heureux d’avoir enfin achevé la bête, mais ce sentiment d’euphorie est très vite suivi par une petite déprime. Car oui, vous n’avez plus rien à faire.
Que nenni ! Vous croyiez en avoir bavé psychologiquement avec toutes ces corrections et remises en question ? Vous vous trompez. Car maintenant vient l’étape la plus destructive et à la fois la plus cruciale : l’envoi à l’éditeur.
Et je préfère vous prévenir de suite : vous allez en chier.
Avant de passer à la suite, je vous conseille vivement de passer par une étape intensive de relecture (je ferai un article dessus, promis). Il est absolument inconcevable d’envoyer votre manuscrit sans l’avoir fait relire au moins une fois par une personne extérieure. Autant vous pendre tout de suite sinon. Dans la situation contraire, il faut aussi que vous appreniez à lâcher prise. À chaque fois que vous repasserez sur votre fichier, vous aurez toujours quelque chose à corriger. Toujours. Vous trouverez toujours un meilleur verbe, une phrase coupée en deux, un retour à la ligne… Par contre, si vous en êtes arrivés à rajouter des virgules, vous pouvez le lâcher. Vraiment. Faut pas déconner non plus. Votre manuscrit n’est pas parfait, il ne le sera jamais, c’est quelque chose que vous devez absolument accepter durant l’étape de la correction et de l’envoi, et ça vaut pour tout le monde. Les auteurs qui tapent sur les relecteurs ou qui se croient meilleurs que tous sont des imbéciles. Point. En résumé : retravaillez dessus, mais apprenez à le lâcher, à admettre qu’il y aura toujours des choses à changer.
Donc, il est prêt, et vous voulez tenter l’aventure de l’édition. Soit. Mais le dire est bien plus facile que le mettre en pratique. Avant de harceler votre éditeur favori, vous devez arriver à cataloguer précisément votre roman, avec deux questions essentielles :
∞ Quel sera votre public ?
∞ Quel est votre genre, sous-genre, registre, thème, bref, kézako ?
Adulte, jeunes adultes, jeunesse ? Vous pouvez trouver facilement la réponse en regardant déjà l’âge de votre personnage principal, mais pas que. Par exemple, certains adultes sont capables de lire les aventures d’un gamin de 12 ans, mais l’inverse est compliqué. Le ton et le vocabulaire employé jouent beaucoup, ainsi que les sujets traités. Votre héroïne a 12 ans, mais elle se fait vendre comme esclave sur une planète de pervers : oui, elle a 12 ans, mais votre manuscrit ne sera pas fait pour les gamins de 12 ans. Je pense que vous avez compris l’idée, pas la peine que je vous fasse 36 exemples. Je pense que la limite la plus compliquée à définir serait celle entre ce qu’on appelle le YA (young adult) et le « adulte ». Selon moi, vous pouvez catégoriser YA un héros qui est toujours en « phase de construction » vers l’âge adulte. Vous savez que vous allez avoir une évolution, qu’il va encore grandir et apprendre des choses. Je ne dis pas que les adultes n’apprennent plus rien (clichééééé), mais vous mettrez peut-être dans cette catégorie des personnages principaux qui sont déjà bien établis et installés dans leur vie.
Une fois que vous avez défini votre public, vous avez déjà fait un grand, grand, grand pas en avant. Ce simple fait vous permettra déjà de mieux choisir les éditeurs à qui vous devez envoyer votre récit. Tous n’ont pas la même audience. Autant vous dire tout de suite que si votre manuscrit ne correspond pas à l’esprit de l’éditeur, ils ne chercheront même pas à le lire, il ira de suite à la poubelle. Littéralement. Certains ne prendront même pas la peine de vous prévenir ou de vous répondre (parce que le monde est rempli de connards), et vous serez là, comme un couillon devant votre boîte aux lettres ou votre boîte mail, à attendre quelque chose qui ne viendra jamais.
Le deuxième point est le genre. « Oh, mon éditeur préféré fait du fantastique, je vais lui envoyer mon manuscrit fantastique ! » Problème : il ne prend que les nouvelles ou anthologies, et vous avez écrit un roman. Votre œuvre peut être absolument géniale, l’éditeur (s’il prend le temps de lire, à nouveau) pourra la trouver absolument géniale, elle ne sera pas publiée, car elle ne correspond pas à la maison. Tout simplement. Certains vont même plus loin : par exemple, à une époque, je ne crois pas que ce soit encore le cas, mais les éditions du Petit Caveau n’acceptaient que les récits centrés sur les vampires. J’ai moi-même quelques vampires dans mon histoire, mais ils ne sont pas du tout les personnages principaux, ils font juste partie d’un tout parmi d’autres créatures. Mon récit ne rentre donc pas dans leur collection. Il n’y aura pas d’exception. N’essayez même pas le : « oui, mais mon récit est tellement super qu’ils vont passer outre leur ligne éditoriale et me publier quand même ». Bah tiens, c’est cela, oui. Encore une fois, remballez votre égo. Rappelez-vous une seule chose, mes amis : dans la chaîne alimentaire de l’édition, vous êtes tout en bas, vous n’êtes qu’une fourmi dans la masse, alors ne perdez pas votre temps, votre argent et l’encre de votre imprimante pour rien. Visez bien, visez juste.
Outre le public et le genre, d’autres paramètres sont à prendre en compte lorsque vous envoyez votre manuscrit. Certains éditeurs ont des demandes particulières au niveau de la mise en page. Oui, je sais, c’est chiant. Vous aviez choisi la super police machinchose, super sexy et poétique, et il vous demande un vieux Arial tout moche en taille 14. Ce n’est pas grave, changez tout juste pour cet éditeur, et gardez la machinchose pour vous et vos amis. Si vous pensez que le succès de votre manuscrit se basera sur sa beauté physique, vous vous plantez. C’est l’intérieur qui compte ! Certains n’acceptent que les exemplaires imprimés, d’autres acceptent les envois électroniques. Certains ne demandent qu’un résumé, veulent que la suite, s’il y en a une, soit déjà écrite ou non, certains veulent le roman entier, d’autres les 100 premières pages, etc.
Certains ont aussi des exigences au niveau de la longueur. Pour la dernière version de Myria, j’avais envoyé mon manuscrit à Rebelle Éditions, qui ne voulait pas dépasser les 600 000 signes. Problème, mon roman en faisait 675 000 et ils m’ont demandé si je pouvais le couper en deux. Ce n’est pas une grosse maison d’édition et c’était juste techniquement compliqué de faire un peu plus pour eux à ce moment, même si j’ai dépassé de pas grand-chose. Je leur ai répondu que je ne savais pas du tout où couper mon roman (et ma bêta était d’accord), mais je leur ai proposé en contrepartie de supprimer quelques passages inutiles, à leur convenance.
Bon, malgré ma proposition, ils ont quand même fini par me refuser.
Soyons clairs, j’ai eu de la chance : ils auraient pu m’ignorer, me laisser dans mon caca, mettre mon fichier à la poubelle (d’ailleurs, ils n’arrivaient pas à l’ouvrir, j’ai dû le renvoyer !), mais non, ils ont pris le temps de me répondre. C’était mon instant cocu. J’en ai bien profité, car je savais à l’époque que je n’en aurais pas 50 comme ça. Est-ce que ça m’embête d’enlever des passages ? Bien sûr, car c’est mon bébé. Mais je garde en tête que si jamais je suis sélectionnée par un éditeur, il me demandera peut-être de revoir telle ou telle chose, de changer ci ou ça, ou autre. Il faut donc rester ouvert et très malléable. Si vous n’êtes pas capable de vous remettre en question, gardez votre manuscrit dans votre placard ou votre fameux dossier « Divers » (on a tous un dossier Divers, avouez).
Dernier point que je n’ai pas encore évoqué, mais qui est le plus important. Avant de vous mettre en mode « stalker », de voir si votre roman peut entrer dans les collections d’un éditeur, de voir si c’est le bon public, le bon genre, etc. vous devriez tout simplement regarder si les soumissions de manuscrits sont ouvertes. Je sais, c’est tout con, mais sachez qu’il y a énormément de maisons d’édition qui plient sous le poids des manuscrits et qui sont obligées de fermer de temps en temps les soumissions pour rattraper leur retard, en particulier celles de taille moyenne et/ou petite (et qui constituent malheureusement le trois quarts des éditeurs du fantastique. Nous sommes une niche en France, mes enfants, acceptez-le. Il fallait naître de l’autre côté de la Manche, désolée). C’est une des raisons qui fait qui leur est toujours compliqué de respecter les deadlines en matière de réponses aux jeunes auteurs. Certains plannings de publications sont même déjà bloqués jusqu’à deux ans après !
Avec toutes ces restrictions, vous pensiez envoyer votre manuscrit à 25 éditeurs différents, et au final, votre liste n’en comporte qu’une petite huitaine. C’est emmerdant pour vous, car vous vous dites que vous aurez donc moins de chances d’être publié, mais c’est une erreur. Vous n’auriez pas plus de chances en envoyant un manuscrit à une maison qui ne correspond pas. Vous pouvez toujours aussi garder un œil sur les maisons qui refusent les soumissions. Ils changeront peut-être d’avis dans quelques mois, et ce sera une chance de plus pour vous.
Pour ma part, pour ma sélection, je suis passée par le recueil de CoCyclics (Le Grimoire Galactique des Grenouilles) qui liste une bonne partie des maisons d’édition du fantastique, avec quelques conseils pour les contacter. Le problème est qu’il date de 2012, donc je m’en suis servie pour sélectionner les maisons qui pourraient correspondre, mais je suis tout de même allée vérifier sur les sites Internet des maisons en question pour voir si certaines exigences avaient changé. Il en manquait aussi quelques-unes, donc j’ai dû faire quelques recherches à côté pour établir ma liste finale. Peut-être que la liste est à jour aujourd’hui. J’ai pris toutes les tailles, des petites aux grosses maisons. J’ai simplement visé en premier celles qui acceptaient les envois électroniques, car j’étais tout simplement à court d’argent à cette époque et je ne pouvais pas me permettre d’imprimer 10 fois 260 pages, qu’il faut en plus relier. Je me rappelle avoir agi petit à petit : j’ai déjà envoyé mon manuscrit à 3/4 maisons. Puis, 2 ou 3 mois après, à d’autres. Et quelques mois après, encore d’autres.
La patience est votre meilleure amie (c’est une connasse, elle nous saoule, mais c’est tout de même une bonne potesse). On ne va pas se mentir : de nos jours, postuler dans une maison d’édition est aussi laborieux que postuler pour un emploi. Malheureusement, la moitié ne vous répondra pas, ou prendra plus de 6 mois à le faire. D’où la gestion de l’échec en n’envoyant pas tout d’un coup à tout le monde : vous pouvez attendre 4, 6, 8 mois, un an, pour recevoir une lettre ou un mail type de refus. C’est dur. C’est le plus dur. Et je connais la frustration de vous balader dans les rayons d’un magasin et de voir que des bouses ont été publiées et que le vôtre a été refusé. Je sais. Comme je l’ai déjà dit, il faudra mettre votre égo de côté pendant cette étape, sinon vous ne pourrez jamais avancer. C’est aussi violent que se prendre un râteau par Vincent de la 3ème B alors que vous avez fantasmé sur lui pendant toute l’année, que vous vous êtes imaginés ensemble pour LA VIE, que vous avez choisi les prénoms de vos trois enfants et du chien. Apprenez à vous remettre rapidement et à passer à la suite. Peut-être que vous n’avez pas encore vu le petit Tom dans un coin, qui vous regarde depuis des années. Peut-être que Vincent vous verra un jour autrement, peut-être tout simplement que votre Tom n’est pas encore arrivé dans l’école. Donc, AVANCEZ. Continuez à écrire pendant cette période d’attente, une suite ou d’autres choses, déjà pour ne pas perdre le rythme, et aussi, tout simplement pour vous rassurer sur vos capacités. Essayez d’autres genres, d’autres techniques, d’autres formats. Lisez ce qui a été fait ailleurs pour essayer de vous donner des idées ou vous améliorer. Inscrivez-vous sur des forums pour discuter avec d’autres auteurs en galère, peut-être que vous arriverez, à long terme, à créer des liens qui vous seront utiles.
Je me suis pris des tartes et des râteaux comme vous, chez les grands comme les petits. Milady, Actes Sud, Mnémos, Black out, Plume Blanche, Rebelle, Le chat noir, J’ai lu, Albin Michel, Cyplog, Flammarion, City, L’Atalante, Mille et une nuits, Seuil… et j’en passe. Et dites vous qu’en simultané, je me faisais aussi jeter en tant que traductrice ! Donc je recevais une double sanction à chaque fois !
Certains éditeurs, dans leurs refus, prendront néanmoins le temps de vous expliquer quoi améliorer. Prenez-en compte, ravalez encore votre égo. Ils savent de quoi ils parlent. Personnellement, j’ai été refusée par Sharon Kena, cependant j’ai reçu des précieux conseils qui m’ont permis de « charcuter », de remodeler, et d’être publiée par la suite, même si au final, ça c’est fait ailleurs.
Acceptez aussi que tout le monde n’a pas besoin d’être publié par une maison d’édition, et que si vraiment l’aventure est trop dure à supporter mentalement, si tout simplement vous n’arrivez pas à mener tout ça à terme, il vous reste d’autres solutions, parfaitement viables, même si évidemment elles n’offrent pas la même visibilité ou reconnaissance. Il y a évidemment l’auto-édition, ce qui est compliqué sans s’y connaître un minimum en marketing, ou des plateformes comme Wattpad. C’est aussi un bon moyen de prendre de l’expérience et de se faire repérer.
Et parfois, un petit commentaire positif sur Wattpad ou sur une fanfic peut compenser tous les refus du monde !