Ma stratégie du plan ouvert

Le grand débat. La question cruciale et délicate entre les auteurs. Faire un plan détaillé ou écrire ou gré du vent ? Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai remarqué que ce sujet revient toujours. C’était encore le cas au Salon du Livre cette année. Mettez quelques auteurs dans une pièce, et irrémédiablement, cette grande question finira par ressortir, tout simplement parce que c’est une des premières étapes dans le processus de création. Je ne suis personne, pas plus pas moins que d’autres, et je ne prétends pas pouvoir vous dicter votre façon d’écrire. Il y a cependant certaines choses que j’ai remarquées pendant mes quelques années d’écriture, et je pense qu’il ne serait pas mauvais de les partager avec vous.

Il y a un peu plus d’un demi-million d’années, j’ai envoyé mon premier manuscrit à des maisons d’édition. Bon, il n’a évidemment pas été retenu (et pour cause : c’était du caca), mais cela m’a tout de même valu une grande remise en question sur mon processus d’écriture, et j’ai dû changer ma façon de faire. De façon drastique. À répétition.

Par souci de ne rien oublier dans mon scénario, et peut-être aussi par pure anxiété, j’avais prévu un plan détaillé de toute mon histoire. Au chapitre près. Je n’avais pas encore commencé que j’avais déjà décidé qui dirait quoi à qui, quand et pourquoi. Mes chapitres étaient structurés et triés, et les titres (certains en donnent, d’autres non, mais moi j’aime bien) étaient déjà choisis. Après avoir défini toute la structure, je couchais rapidement sur papier un résumé pour me rappeler ce qu’il se passait dans chacun. Je le faisais de manière plutôt concise, du genre « Personnages A et B sont dans tel endroit, discutent de telle chose et il arrive ceci » ou parfois même sous la forme d’un mini synopsis. La liberté d’écriture ne se déclarait qu’au moment de rédiger le contenu lui-même de la scène que j’avais prévu. C’était la phase finale.

J’ai compris, avec le temps, que cette façon de faire était une grossière erreur. La phase d’écriture ne doit pas être la phase finale, mais la première (ou la seconde si vous avez besoin de faire des recherches au préalable). La phase finale, c’est la relecture, mais on verra ça une autre fois. Si, quand on le prépare, le plan a l’air parfait, un gros défaut s’est révélé une fois ma rédaction terminée. En prévoyant tout à l’avance, mon manuscrit en est ressorti complètement fractionné. Mes chapitres étaient bien séparés les uns des autres, et lors de la lecture, le tout ressemblait plus à une succession de petites scènes avec un thème précis qu’à un roman unique et uniforme. Un peu comme les épisodes d’une vieille série télé avec des aventures uniques, qui ne se suivaient pas. Ce n’était pas fluide. Et malgré l’humour que j’avais essayé d’y mettre, le récit n’était pas attrayant. Je pense sincèrement que mes personnages étaient bons, que l’histoire en elle-même n’était pas trop mauvaise, même si un peu maladroite pour mon jeune âge, mais le tout avait été spolié par ma technique. J’avais fait l’erreur de mettre cette technique d’un côté, et mon imagination de l’autre. Et quand j’ai fait rejoindre les deux lors de la rédaction, ils n’allaient pas ensemble. Dans une interview pour ALPHA reader, Patricia Briggs, l’auteur de la série Mercy Thompson, expliquait qu’il lui était arrivé de faire des plans détaillés par le passé, mais qu’elle avait arrêté, d’une part, parce que le plan prenait plus de temps à faire que l’écriture elle-même, et d’autre part, parce qu’une fois qu’elle se lançait dans la rédaction, elle perdait tout son enthousiasme, car tout était déjà prévu à l’avance.

Quelle était donc ma solution ? Me lancer à l’aveuglette. J’ai essayé. Vraiment. J’ai repris mes personnages chéris, mais avec une toute nouvelle idée, et je me suis lancée au gré du vent. J’avais une vague idée de ce que je voulais faire, rien de précis, mais j’étais partie. Sans aucun plan.

Ça a plutôt bien marché sur les premiers chapitres. Ils étaient cruciaux pour la présentation du contexte, des personnages et de la situation, et je pense que je m’en étais sortie plutôt bien. Cependant, les choses se sont gâtées quand le récit s’est vraiment lancé et est devenu plus profond et complexe. Après avoir écrit ces premiers chapitres, j’étais un peu perdue. J’étais partie d’un point A, et je devais arriver au point B, celui où la gentille héroïne se débarrasse du méchant. Le souci, c’était que je ne savais pas comment tracer la ligne entre les deux. Il n’y avait rien de prévu, car j’étais partie en freelance. Tout partait dans tous les sens et mon point B semblait s’éloigner toujours plus. Je m’étais perdue dans mon propre texte. J’ai arrêté le carnage vers le sixième chapitre.

Il a donc fallu trouver quelque chose entre les deux. Je pense que partir au gré du vent est une excellente façon de faire quand on ne cherche pas à écrire quelque chose de précis, que l’on n’a pas de thème particulier à aborder. On a juste une idée, peu de personnages (par-là, j’entends moins de cinq), et on se laisse porter par le vent. Cette technique est idéale si on veut écrire une nouvelle ou bien un roman one shot. Une romance simple. Ce n’est pas le cas lorsque l’on veut écrire une série de livres sur un même univers ou les mêmes personnages, que l’on suit pendant des années ou plusieurs tomes, ce qui était mon but. L’histoire doit tenir la route et évoluer sur plusieurs années. Il faut donc un minimum de préparation, sans empoisonner l’imagination.

J’ai donc commencé par écrire un troisième manuscrit. Néanmoins, cette fois, je n’ai pas détaillé les chapitres un par un. J’avais à la place établi une chronologie générale, comprenant les faits importants qui devaient se produire à tel ou tel moment pour arriver au point B, mais j’ai tout fait pour ne pas m’enfermer. Je suis restée malléable. J’aimerais bien que ce personnage dise ça à ce personnage, mais je n’ai pas pu le caler ici. Ce n’est pas grave, je peux le caler avant ou après, je le mets de côté. Ce chapitre est plus long que prévu, ce dialogue prend vraiment beaucoup de place. Je devrais peut-être rajouter une scène d’amour ici. Tant pis, je coupe le chapitre plus tôt et je décale la suite à celui d’après.

On pourrait appeler ça un plan ouvert. J’ai un plan général du récit, mais je ne me donne pas de limites. C’est d’ailleurs grâce à cette nouvelle technique que j’ai eu mes meilleures idées pour l’histoire. Mes personnages, mes lieux et les actions se sont trouvés presque tous seuls. J’ai annulé certaines choses que j’avais prévues au départ pour les remplacer par d’autres. Je n’ai pas peur de trancher dans le lard s’il le faut, j’ai cessé d’être rigide. Avant, j’aurais pu dire « ceci doit se passer comme ça et pas autrement ». Je n’agis plus de la sorte. Si je n’arrive pas à caler quelque chose, une scène ou une phrase, cela veut dire que sur le moment, dans l’écriture, cela ne me semblait pas approprié. Alors je mets tout ça de côté et peut-être qu’un jour je m’en resservirai. Si ce n’est pas dans ce tome, ce sera dans le suivant. Ou pas.

Je me souviens d’un personnage que j’avais créé pour Myria un peu au dernier moment. C’était un mec sans intérêt qui était supposé avoir deux ou trois apparitions pour faire un trait d’humour avec son meilleur ami, et rien de plus. Une connaissance d’Alicia dans sa vie quotidienne.

Au bout de deux chapitres, j’ai finalement décidé d’en faire un amant de mon héroïne, le rival du premier personnage masculin. Il a finalement un passé trouble, des envies différentes, et je lui ai donné un rôle plus important pour le tome 2 de ma série, et encore un plus important pour la bataille finale à la fin de la série.

C’était une de mes meilleures idées pour ce manuscrit, pour ne pas dire la meilleure, tout simplement parce qu’elle m’a permis d’enchaîner et de développer tout un tas d’autres choses après coup. L’avantage d’une série avec des dizaines de personnages, c’est qu’on n’a pas de limite dans le temps, de limite « géographique », de limite dans l’histoire. On peut créer tout le background qu’on veut à tous nos personnages, tout simplement parce qu’on a la place. L’évolution n’est pas limitée à un seul tome de 200 pages. Mais il faut tout de même savoir où on va pour que ça ne devienne pas un vrai bazar sans queue ni tête. Cette idée, je ne l’aurais jamais eue si j’avais fait un plan trop détaillé que j’aurais suivi au chapitre près. Et si j’avais écrit les yeux fermés sans aucune structure, je n’aurais peut-être pas réussi à donner assez d’impact à ce personnage pour qu’il tienne la route dans les tomes suivants, je n’aurais pas pu le développer. Il serait passé, il serait resté insipide, avant de disparaître.

Au jour d’aujourd’hui (et rien qu’avec cette expression toutes mes relectrices sont en train de se tirer une balle), je suis en train de préparer le plan général du tome 3.5 de Myria ou plutôt, du coup, le plan ouvert. J’ai un carnet à côté de moi où j’ai écrit les évènements principaux qui doivent se passer, je les ai mis dans l’ordre dans lequel je pense les écrire, mais si je décide en cours de route de changer, ce n’est pas grave. Si je trouve quelque chose en plein milieu à rajouter ou enlever, ce n’est pas grave. Le principal, c’est d’écrire en vous débarrassant de ce sentiment d’anxiété ou de panique sur la façon de procéder, que ce soit une série ou un one-shot. Un plan ne vous enchaînera pas, contrairement aux idées reçues ; il suffit juste de le faire correctement, et de ne s’en servir que comme indication ou suggestion, comme d’une route potentielle à suivre, et non pas comme d’une Bible dont il ne faut jamais dévier !

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