Le point de vue en SFFF : 1ère ou 3ème personne ?

J’avais lu, je-ne-sais-plus-où (sacrée référence, on est d’accord), que dans un récit d’urban fantasy, et dans un sens plus large, un récit de l’imaginaire (fantasy, S-F et fantastique), l’utilisation de la première personne et du point de vue interne étaient quasiment obligatoire. FAUX ! comme dirait Norman. Même si en ce moment il vaut mieux éviter de citer les YouTubeurs, hein. Bref, faux, pour deux raisons :

Petit 1 : Vous faites ce que vous voulez, bon sang.

Petit 2 : C’est en fonction de vos besoins.

En effet, j’aimerais dire que votre sensibilité à la première ou la troisième personne est le seul critère qui compte, cependant ce choix dépend également de ce que vous avez l’intention de produire et de fournir avec votre texte. Revoyons ensemble les bons et les mauvais côtés de chacune des deux techniques, et peut-être que cela vous aidera à trouver celle qui correspondrait le mieux à votre esprit, votre main, et surtout, à votre manuscrit.

Back to school (il y a donc FORT longtemps), nous avions appris qu’il existait trois points de vue : le point de vue omniscient, le point de vue interne et le point de vue externe.

En résumé, le premier fonctionne avec un narrateur qui n’est pas impliqué dans l’histoire, mais qui la connaît d’avance, ainsi que les pensées et le futur des personnages. Bref, vous êtes Dieu, comme dans les Sims (puisqu’on en parle, je n’ai jamais mis un Sim dans la piscine puis retiré l’échelle. Vous êtes tous des psychopathes). Le second point de vue, l’interne, fonctionne avec un narrateur impliqué dans l’histoire, un personnage du récit, qui découvre tout en même temps que le lecteur. Enfin, le point de vue externe comprend un narrateur non impliqué dans l’histoire, neutre, voire objectif, qui suit les aventures du héros un peu comme s’il le filmait pour un documentaire.

Le point de vue interne est le point de vue le plus courant dans le monde de l’imaginaire, puisqu’il implique la découverte progressive d’un autre monde. Il est aussi d’une façon générale plus pratique et plus facile à manipuler quand on écrit une fiction. On se met dans la peau d’un personnage et on découvre ledit monde avec lui. Les points de vue omniscient et externe sont plus compliqués à adapter à la fiction. Le premier, car il est difficile de décider ce qu’on peut révéler ou non, de savoir quand commence ou s’arrête cette « omniscience ». De plus, le jonglage entre les aventures et pensées de plusieurs personnages à la fois tout en sachant ce qui va arriver peut s’avérer périlleux. Le second, l’externe, ne permet aucune introspection, ce qui rend difficile l’attachement aux personnages. Il est également très compliqué pour un auteur de ne pas se mettre à leur place et de rester neutre ou objectif.

Je vais donc me concentrer sur le point de vue interne, qui est logique et pratique pour la fiction.

Autant être claire : ce n’est pas parce qu’un personnage est lui-même narrateur et que le lecteur marche dans ses pas que le récit doit se faire automatiquement à la première personne. Quand j’étais au collègue, donc il y a à peu près un trillion d’années, je me rappelle qu’en cours d’expression écrite, on nous interdisait d’utiliser la première personne. Ne me demandez pas pourquoi, je ne m’en souviens plus, néanmoins comme c’est à peu près à cette période que j’ai commencé à écrire autre chose que des chansons ou des poèmes, que j’ai été « formatée » pour les récits à la troisième personne. Je n’ai absolument rien contre la première personne ; l’une et l’autre ont plusieurs bons points, et surtout, tout autant d’inconvénients.

À noter : ce n’est pas parce que beaucoup d’auteurs écrivent à la première en SFFF que vous devez vous sentir obligés de le faire. Encore une fois, vous faites ce que vous voulez !

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La première personne est courante, car elle est simplement plus facile à utiliser, sur deux points en particulier. Tout d’abord, au niveau de l’introspection. Il est très pratique de parler des sentiments d’un personnage ou de ses impressions quand on est ce personnage. Elle est également très facile à utiliser d’un point de vue purement technique. L’auteur devient le narrateur, et il n’a plus de questions à se poser au niveau de la forme de son récit : il est le personnage, il est ses yeux, et il suit simplement le fil de l’histoire à travers lui. Impossible donc de se perdre et se disperser. Je recommanderai le choix de la première personne si le thème principal de votre récit implique soit une enquête policière, soit de la romance de premier plan. Si votre récit est une intrigue policière, c’est l’option idéale. De cette façon, le lecteur, le narrateur et l’auteur ne font plus qu’un, et résolvent ensemble l’enquête jusqu’à la découverte du coupable. Côté romance pure, la première personne est également une bonne option, puisqu’elle facilite le questionnement intérieur de l’amoureux (se) et permet au lecteur de s’identifier plus aisément au personnage principal.

Elle n’est cependant pas indispensable. En effet, la première personne a des défauts. Elle vous cantonne le plus souvent au traitement d’un seul personnage, et si jamais un jour, vous décidez de switcher vers un autre, par choix ou parce que le récit vous y oblige, le changement risque d’être un peu délicat. En effet, difficile de ne pas rater son coup quand on passe d’un « je » à un autre sans embrouiller tout le monde, vous y compris. Il reste la solution de basculer exceptionnellement à la troisième personne lorsque vous voulez faire intervenir quelqu’un d’autre de façon temporaire. C’est une bonne solution, mais encore, elle n’est pas idéale. Tout le monde n’est pas capable de passer en douceur de la première personne à la troisième en plein milieu d’un récit. Toute l’atmosphère en est modifiée, et il est très difficile de garder le même esprit et la même ambiance. Le lecteur peut aussi y perdre ses repères, et le passage en question aura plutôt l’air d’un « spin-off », une histoire secondaire, totalement détachée de votre récit principal. Mon conseil est donc : utilisez la première personne si vous êtes absolument certain (e) que vous allez rester avec le même narrateur tout le long de votre manuscrit. J’ai déjà vu quelques auteurs tenter le coup malgré tout, et même si c’est rafraîchissant de voir l’histoire d’un autre point de vue, il y a toujours cette cassure dans le texte, peu naturelle et inattendue, qui rend le roman très inégal. C’est aussi quelque chose que vous ne pouvez faire que sur un, voire deux personnages secondaires. Pas plus. En résumé, à la première personne, vous facilitez l’introspection du personnage principal sans vous disperser, mais vous rajoutez des barrières dans la gestion générale de votre récit. Ainsi, vous percevez tous les autres personnages sous la vision unique et subjective du personnage principal.

C’était mon problème pour la série Myria. Je n’étais pas certaine de garder la même héroïne tout le long de mon histoire. C’est d’ailleurs pour ça que le titre n’est pas « Les chroniques/aventures/tribulations d’Alicia Delgado » ou un autre truc de ce genre. Il était hors de question de me mettre des barrières, écrire une série étant déjà assez contraignant comme ça. Pas de panique, je n’ai pas dit non plus que je comptais tuer Alicia. Ou peut-être que si, en fait. Qui sait ?

Moi. Mouhahaha.

Reprenons. Ceux qui ont lu savent que j’ai beaucoup de personnages secondaires dans Myria, certains très charismatiques, qui ont leur petite histoire ou aventure à côté de la trame principale. Et si jamais un jour j’ai besoin ou envie de changer de personnage principal ? Je me suis posée la question, en milieu d’écriture, si ce n’était pas mieux de passer à la première personne, car malgré tout, mon héroïne monopolise 95 % du manuscrit et c’est ce qui se fait couramment en urban fantasy. Je suis toutefois restée finalement sur mon idée de départ : je ne pouvais pas me mettre des barrières, pour ensuite me retrouver coincée ou devoir être obligée de trouver une astuce pour que le changement de personnage se fasse en douceur. Car c’est le point fort de la troisième personne : vous conservez en point de vue interne, tout en choisissant le personnage que vous voulez. C’est la solution idéale si, comme moi, vous avez plusieurs personnages secondaires qui participent indépendamment les uns des autres à l’action principale. Vous pouvez passer de l’un à l’autre sans restriction, sans que cela ne choque personne, tout en gardant le même type de point de vue. Au final, c’est une sorte de point de vue interne « semi-omniscient ». Le narrateur ne sait pas tout à l’avance, par contre vous pouvez le changer à volonté, passer d’un personnage à l’autre selon vos besoins, tout en voyant le récit de son point de vue.

Le problème de la troisième personne, c’est que l’introspection vient moins naturellement dans le processus d’écriture. On peut même oublier de rentrer dans la tête du personnage, trop occupé à décrire ce qu’il se passe. Je me rappelle avoir été obligée plusieurs fois de rajouter lors des corrections ce que pensait vraiment Alicia, car il était difficile de comprendre ce qu’elle cherchait ou désirait vraiment. Je ne m’étais concentrée que sur l’action ou les dialogues, et du coup, on se définissait son personnage seulement en fonction de ce que les autres disaient d’elle ou ce qu’elle faisait. C’est très facile d’oublier d’ajouter les pensées ou les intentions quand on n’est pas à la première personne, et quand, finalement, on s’en souvient, on est obligé de caler des « Elle pensait à » ou « elle se sentait » à tour de bras : si on n’a pas un vocabulaire très élargi, on peut vite tourner en rond et risquer les répétitions. Et dans la langue française, les répétitions, C’EST LE MAL. En résumé, la troisième personne vous permet d’être plus libre dans la gestion générale de votre récit et de vos personnages, mais elle est aussi un peu plus « technique ». On peut vite négliger l’introspection et se perdre dans le flux d’infos si on ne fait pas attention.

Je dirais que là où la première personne joue la sécurité, permettant de se concentrer sur le fond de l’histoire et les réflexions internes des personnages sans se disperser, la troisième personne est faite pour ceux qui, au contraire, n’ont pas peur de voir plus grand et plus loin qu’un seul personnage. Par exemple, la troisième personne est beaucoup plus simple à manipuler pour les descriptions. On peut facilement digresser et se laisser aller, alors que la première personne nous oblige à rester uniquement derrière les yeux d’un personnage. Avec la troisième personne, on peut « tricher » un peu et décrire un peu plus que ce que le personnage voit vraiment, surtout dans les scènes d’action. Elle est parfaite également si vous avez besoin d’expliquer un contexte ou le fonctionnement de votre univers, sans être obligé de passer par la case « dialogue ». Vous pouvez évidemment le faire aussi à la première personne, mais à mon avis, ce sera moins naturel : avec la première personne, tout se passe en direct live, et on imagine mal un personnage délirer dans sa tête sur la description d’un monde qu’il connaît déjà (sauf s’il le découvre en même temps que vous, comme dit plus haut). Autrement dit, la troisième personne permet plus petits écarts, mais attention, ce sont des écarts qu’il faut complètement maîtriser, au risque de se piéger et tomber dans l’omniscience (et là, ça devient un beau bordel).

Tout est également une question de feeling. Vous serez peut-être plus à l’aise avec la première personne sur un récit, et la fois d’après, ce sera peut-être avec la troisième personne. Comme je vous l’ai dit, c’est une question de besoins et d’envie. Ma série Myria est à la troisième personne (vous vous rappelez, au cas où je décide de tuer Alicia), mais par contre, l’histoire courte « spin-off » sur Madison que j’ai écrite après le tome 2 est à la première personne. Pourquoi ? Déjà, parce que Madison entend les pensées des gens et que c’était logique pour la gestion du récit. Je voulais que les lecteurs soient dans sa tête pour comprendre vraiment ses intentions (c’était donc un besoin). Aussi, j’écris très rarement à la première personne, et c’était pour moi l’occasion idéale d’essayer (donc une envie).

Au final, quoique vous choisissiez, évitez simplement les mauvaises surprises et soyez précis et intransigeant sur la forme de votre manuscrit. Il doit rester unifié. Peu importe la forme, gardez bien en tête les inconvénients liés à l’une ou l’autre, mais surtout, ne partez pas dans tous les sens. Conservez le même cap jusqu’au dernier chapitre. Et ce sera très probablement la partie la plus difficile !

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